Petit extrait de
journal intime (Nov 2017)
A nos amis, nos proches et tous nos éloignés,
Nous avons choisi, un peu égoïstement, voilà
2 ans, un soir de janvier 2016, de devenir des marchanT, de voyager, de visiter,
d’apprendre de l’ailleurs, des autres.
Petit retour arrière sur 2 années
JANVIER 2016 :
Nous apprenons que ce voyage sera
Africain, gabonais. Passer l’euphorie de la nouveauté, la fierté aussi de la
mission professionnelle qui m’est confiée, la joie familiale de débuter
« une autre vie », et lorsque l’introspection et le cartésianisme qui est le mien (le nôtre)
reprennent le dessus, de nombreux doutes
et peurs surgissent. Nous sommes à l’aube non pas d’un, mais d’une MULTITUDE de voyages :
-
Un voyage au-delà de nos peurs, de nos préjugés
et de nos propres limites. Nous ne savons rien ou presque de l’Afrique, rien ou
presque de ce qui nous attend personnellement comme professionnellement.
-
Un voyage dans l’inconnu des lieux, dans
l’inconnu des Hommes et de leur culture, de leurs croyances.
-
Un voyage en terres intérieures. Comment
allons-nous vivre loin des nôtres, loin de nos frères et sœurs, loin de nos
confortables repères sociaux, politiques ou culturels.
-
Un voyage en valeurs inconnues. Nous mettrons
dans notre sac à dos quelques mots personnels : dans la poche de gauche,
la devise républicaine bien sûr, juste à coté, celui de laïcité, Démocratie et Ecole Républicaine dans
l’autre poche. Me voilà donc parti, NOUS voila donc partis (ma famille ne tenant pas dans le dit
sac à dos, nous quittons notre terre en
nous tenant la main, fébriles. Nous entamons bel et bien un voyage au centre de
nous-mêmes. NOUS VERRONS !
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Février 2017
Voilà 5 mois que
nous sommes ici à Libreville. A ce moment du récit , il faut vous avertir à l’
avance de la possible imposture du discours
qui va suivre ; il ne pourra refléter qu’une partie de notre voyage, à ce jour
inachevé. La vision que je vous livre et vous propose maintenant n’est encore que celle du début,
celle du jeune voyageur dont le regard est vierge de tout à priori. Mais déjà
en quelques mois, elle évolue, se modifie, se lézarde parfois, s’adoucit, se
polit, s’ajuste, et par la même nous métamorphose, nous modèle en quelque
sorte. La vision passant de la découverte au quotidien, de la surprise à
l’assimilation, de l’étonnement à la compréhension, c’est tout un regard qui peu
à peu s’aiguise, s’aguerrit, s’ajuste et permet, petit à petit, à la construction de sortir de terre.
Mars 2017 : La fraternité vue d’un
étranger
L’une des balises que nous nous étions fixées en
débutant cette aventure était la suivante : ne pas être « un
blanc » qui ne voit et ne côtoie que des
blancs, vit au milieu d’eux et ne voit qu’eux. Je passe sur les 3 premières semaines de
notre arrivée où nous n’avons eu d’autre choix
que de rester confinés dans notre
maison en attendant que les troubles post-électoraux ne se dissipent quelque
peu, et où entrer en contact avec qui que se soit aurait relevé de
l’inconscience … ou du miracle. Petit à petit,
nous nous sommes rendus compte que la Fraternité est, ici au Gabon (mais plus généralement semble-t-il en
Afrique de l’Ouest et Centrale), une valeur et une pratique très
« ethniquement » connotée, presque communautaire, fortement ancrée
et liée à la Terre (celle des ancêtres en particulier) et au Village. La
fraternité semble être le point de
rencontre entre un groupe et un lieu : c’est la
fraternité commerçante des maliens, celle des gardiens burkinabés, des
ménagères togolaises… J’ai d’abord cru
que cette impression était le fruit d’une confusion entre Fraternité et
Solidarité nécessaire, presque vitale : Libreville est peuplée par 80% d’étrangers, les 20% restant étant des
gabonais d’origine rurale très éloignés de leurs villages. Ce Village
justement, celui que vous ne pourrez quitter que physiquement et
momentanément parce qu’il est LE CREUSET et le BERCEAU de la fraternité africaine,
celui par lequel tous ses habitants sont
frères, celui où on est né, celui où on se marie, celui où,
INELUCTABLEMENT on reviendra une fois la
mort venue (si par malheur on n'a pas pu mourir entouré de ses frères), porté,
emporté, chanté, supporté dans d’interminables processions mortuaires où
Oncles, Tantes, mères et pères seront
tous Frères et Sœurs, le temps d’un retour au village, lieu de la
Fraternité Promise.
Avril 2017 : Laïcité sans Athées
n’est que ruine de l’âme
Une vraie bonne surprise à notre arrivée a
été de penser constater l’existence d’une laïcité africaine, en tous cas bien
différente de celle que j’avais mis dans la poche de mon sac à doc. La société
gabonaise est une société où se
mélangent pêle-mêle le bwitis (héritage
d’un paganisme qui s’est nourri du christianisme colonial), un Christianisme
évangéliste polymorphe extrêmement présent et pratiqué dans les sociétés
gabonaises urbaines, ostentatoire, coloré, bruyant et emprunté de nombreux
rituels et croyances issus des pratiques primitives africaines (on y pratique ,
conférences théologiques, séances collectives de désenvoutement, exorcismes,
transes collectives…) Enfin, une forte implantation musulmane issue des
populations immigrées d’Afrique de l’Ouest (souvent chiite) ou libanaise, à la fois discrète et banale.
La prière se pratique partout, au milieu des voitures, sur le chemin à côté de
la maison où dans des « cabanes » rebaptisées mosquées.
Mais le plus
surprenant, peut être, oserai je dire le plus choquant aux yeux des gens, ce
n’est pas d’avoir une croyance différente de celle de son voisin, mais plutôt
de n’en avoir aucune. Etre athée
choque, surprend, suscite l’incompréhension et au passage, quelques succulentes
réflexions : « grâce à qui crois tu que tu te lèves le
matin ? » nous lance-t-on un jour ? Les taxis bus (sortes
d’estafettes où s’entassent allègrement 19 personnes) arborent des litanies sur
la vitre arrière comme « Dieu te
voit », « Il te voit, fais le bien ». Les patients ne disent pas
« Merci docteur, à bientôt » mais « Dieu vous protège
docteur ».
Notre voyage
dans le quotidien de cette société africaine nous amène à comprendre qu’ici
tout est croyance, car l’Homme ne peut voir qu’une partie du monde, à fortiori
s’il est Blanc. Le monde des morts est de l’autre côté du fleuve, mais
attention ce n’est pas une frontière poreuse. Par exemple, Albert Schweitzer,
lorsqu’il implante et développe son hôpital des Lépreux à Lambaréné est
qualifié de Nganga (esprit guérisseur), c'est-à-dire un africain mort revenu
chez les vivants sous une apparence de
Blanc.
L’athéisme, vous
l’aurez donc compris n’a donc pas libre cours, car il n’a aucune définition ni
représentation palpable. N’avoir aucune croyance n’est tout simplement pas de
l’ordre de l’humain, puisque tout est
croyance. Le concept de laïcité s’en trouve donc totalement obsolète aux
yeux des gens que nous avons pu rencontrer. Au lycée, les jeunes filles
musulmanes arrivent voilées au lycée et se dévoilent devant la grille pour ne
retrouver leur foulard que le soir venu, les écoles confessionnelles n’existent
pas et la foi est un concept purement privé et culturel.
Soir du 7 mai 2017
Ce
voyage avait également pour vocation de prendre de la hauteur sur notre propre
pays, sur notre République (poche de droite du sac à dos !) sur nos
certitudes, nos repères, nos frustrations ; Les évènements tragiques de Charlie Hebdo, De Nice
… étaient encore trop proches, trop durs !
Nous sommes
arrivés ici au Gabon en Août, 5 jours avant l’élection présidentielle de la
République gabonaise, élection à un tour, où certaines provinces auraient eu un taux de participation supérieur à 100% et
qui a été suivi de plusieurs jours ou
semaines d’incertitudes, d’hélicoptères survolant la ville la nuit, de
confinement où le silence était transpercé de bruits de mitraillettes, de
barrages urbains témoins de scènes de guerre urbaines, de magasins pillés, de morts, de disparus, de
réseaux sociaux verrouillés et de connexions Internet suspendues. De ce point
de vue il nous est encore difficile, encore aujourd’hui, de sortir les mots que nous avions
consignés dans notre besace.
Aujourd’hui
encore la Victoire est revendiquée par les deux camps, les populations se
taisent, la suspicion demeure. Les élections législatives ont été plusieurs fois reportées.
Alors vu d’ici, notre république est devenue tout d’un coup si belle, plus
encore que nous ne l’imaginions, comme les astronautes qui découvrent la terre
vue d’en haut, mais tout à la fois si fragile et tellement sensible aux sirènes
faciles de l’obscurantisme. Drôle de sentiment que celui de se sentir si impuissant
ce dimanche de Mai et de ne pouvoir crier la beauté et l’impérieuse nécessité
de défendre notre modèle démocratique et républicain dans une période si cruciale.
On
vous embrasse !
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