lundi 29 janvier 2018

Dans l'intimité de notre voyage



 Petit extrait de journal intime (Nov 2017)

       A nos amis, nos proches et tous nos éloignés,
    Nous avons choisi, un peu égoïstement, voilà 2 ans, un soir de janvier 2016, de devenir des marchanT, de voyager, de visiter, d’apprendre de l’ailleurs, des autres.
Petit retour arrière sur 2 années 

JANVIER 2016 :
Nous apprenons que ce voyage sera Africain, gabonais. Passer l’euphorie de la nouveauté, la fierté aussi de la mission professionnelle qui m’est confiée, la joie familiale de débuter « une autre vie », et lorsque l’introspection  et le cartésianisme qui est le mien (le nôtre) reprennent  le dessus, de nombreux doutes et peurs surgissent. Nous sommes à l’aube non pas d’un,  mais d’une MULTITUDE de voyages :
-          Un voyage au-delà de nos peurs, de nos préjugés et de nos propres limites. Nous ne savons rien ou presque de l’Afrique, rien ou presque de ce qui nous attend personnellement comme professionnellement.
-          Un voyage dans l’inconnu des lieux, dans l’inconnu des Hommes et de leur culture, de leurs croyances.
-          Un voyage en terres intérieures. Comment allons-nous vivre loin des nôtres, loin de nos frères et sœurs, loin de nos confortables repères sociaux, politiques ou culturels.
-          Un voyage en valeurs inconnues. Nous mettrons dans notre sac à dos quelques mots personnels : dans la poche de gauche, la devise républicaine bien sûr, juste à coté, celui de  laïcité, Démocratie et Ecole Républicaine dans l’autre poche. Me voilà donc parti, NOUS voila donc  partis (ma famille ne tenant pas dans le dit sac à dos, nous quittons notre terre  en nous tenant la main, fébriles. Nous entamons bel et bien un voyage au centre de nous-mêmes. NOUS VERRONS !
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Février 2017
Voilà 5 mois que nous sommes ici à Libreville. A ce moment du récit , il faut vous avertir à l’ avance de la possible imposture  du discours qui va suivre ; il ne pourra refléter qu’une partie de notre voyage, à ce jour inachevé. La vision que je vous livre et vous propose  maintenant n’est encore que celle du début, celle du jeune voyageur dont le regard est vierge de tout à priori. Mais déjà en quelques mois, elle évolue, se modifie, se lézarde parfois, s’adoucit, se polit, s’ajuste, et par la même nous métamorphose, nous modèle en quelque sorte. La vision passant de la découverte au quotidien, de la surprise à l’assimilation, de l’étonnement à la compréhension, c’est tout un regard qui peu à peu s’aiguise, s’aguerrit, s’ajuste et permet, petit à petit,  à la construction de sortir de terre.

Mars 2017 : La fraternité vue d’un étranger

    L’une des balises que nous nous étions fixées en débutant cette aventure était la suivante : ne pas être « un blanc » qui ne voit et ne côtoie que des  blancs, vit au milieu d’eux et ne voit qu’eux.  Je passe sur les 3 premières semaines de notre arrivée où nous n’avons eu d’autre choix  que de rester confinés  dans notre maison en attendant que les troubles post-électoraux ne se dissipent quelque peu, et où entrer en contact avec qui que se soit aurait relevé de l’inconscience … ou du miracle. Petit à petit,  nous nous sommes rendus compte que la Fraternité est, ici au Gabon  (mais plus généralement semble-t-il en Afrique de l’Ouest et Centrale), une valeur et une pratique très « ethniquement » connotée, presque communautaire,  fortement ancrée et liée à la Terre (celle des ancêtres en particulier) et au Village. La fraternité semble être  le point de rencontre  entre  un groupe et un lieu : c’est la fraternité commerçante des maliens, celle des gardiens burkinabés, des ménagères  togolaises… J’ai d’abord cru que cette impression était le fruit d’une confusion entre Fraternité et Solidarité nécessaire, presque vitale : Libreville est peuplée par  80% d’étrangers, les 20% restant étant des gabonais d’origine rurale très éloignés de leurs villages. Ce Village justement, celui que vous ne pourrez quitter que physiquement et momentanément  parce qu’il  est LE CREUSET   et le BERCEAU de la fraternité africaine, celui par lequel  tous ses habitants sont frères, celui où on est né, celui où on se marie, celui où, INELUCTABLEMENT  on reviendra une fois la mort venue (si par malheur on n'a pas pu mourir entouré de ses frères), porté, emporté, chanté, supporté dans d’interminables processions mortuaires où Oncles, Tantes, mères et pères seront  tous Frères et Sœurs, le temps d’un retour au village, lieu de la Fraternité Promise.

Avril 2017 : Laïcité sans Athées n’est que ruine de l’âme

    Une vraie bonne surprise à notre arrivée a été de penser constater l’existence d’une laïcité africaine, en tous cas bien différente de celle que j’avais mis dans la poche de mon sac à doc. La société gabonaise est une société  où se mélangent  pêle-mêle le bwitis (héritage d’un paganisme qui s’est nourri du christianisme colonial), un Christianisme évangéliste polymorphe extrêmement présent et pratiqué dans les sociétés gabonaises urbaines, ostentatoire, coloré, bruyant et emprunté de nombreux rituels et croyances issus des pratiques primitives africaines (on y pratique , conférences théologiques, séances collectives de désenvoutement, exorcismes, transes collectives…) Enfin, une forte implantation musulmane issue des populations immigrées d’Afrique de l’Ouest (souvent chiite)  ou libanaise, à la fois discrète et banale. La prière se pratique partout, au milieu des voitures, sur le chemin à côté de la maison où dans des « cabanes » rebaptisées mosquées.
Mais le plus surprenant, peut être, oserai je dire le plus choquant aux yeux des gens, ce n’est pas d’avoir une croyance différente de celle de son voisin, mais plutôt de n’en avoir aucune. Etre athée choque, surprend, suscite l’incompréhension et au passage, quelques succulentes réflexions : « grâce à qui crois tu que tu te lèves le matin ? » nous lance-t-on un jour ? Les taxis bus (sortes d’estafettes où s’entassent allègrement 19 personnes) arborent des litanies sur la vitre arrière  comme « Dieu te voit », « Il te voit, fais le bien ». Les patients ne disent pas « Merci docteur, à bientôt » mais « Dieu vous protège docteur ».
Notre voyage dans le quotidien de cette société africaine nous amène à comprendre qu’ici tout est croyance, car l’Homme ne peut voir qu’une partie du monde, à fortiori s’il est Blanc. Le monde des morts est de l’autre côté du fleuve, mais attention ce n’est pas une frontière poreuse. Par exemple, Albert Schweitzer, lorsqu’il implante et développe son hôpital des Lépreux à Lambaréné est qualifié de Nganga (esprit guérisseur), c'est-à-dire un africain mort revenu chez les vivants  sous une apparence de Blanc.
L’athéisme, vous l’aurez donc compris n’a donc pas libre cours, car il n’a aucune définition ni représentation palpable. N’avoir aucune croyance n’est tout simplement pas de l’ordre de l’humain, puisque tout est  croyance. Le concept de laïcité s’en trouve donc totalement obsolète aux yeux des gens que nous avons pu rencontrer. Au lycée, les jeunes filles musulmanes arrivent voilées au lycée et se dévoilent devant la grille pour ne retrouver leur foulard que le soir venu, les écoles confessionnelles n’existent pas et la foi est un concept purement privé et culturel.

Soir du 7 mai 2017

    Ce voyage avait également pour vocation de prendre de la hauteur sur notre propre pays, sur notre République (poche de droite du sac à dos !) sur nos certitudes, nos repères, nos frustrations ;  Les évènements tragiques de Charlie Hebdo, De Nice … étaient encore trop  proches, trop durs !
Nous sommes arrivés ici au Gabon en Août, 5 jours avant l’élection présidentielle de la République gabonaise, élection à un tour, où certaines provinces auraient eu un taux de participation supérieur à 100% et qui a été suivi  de plusieurs jours ou semaines d’incertitudes, d’hélicoptères survolant la ville la nuit, de confinement où le silence était transpercé de bruits de mitraillettes, de barrages urbains témoins de scènes de guerre urbaines,  de magasins pillés, de morts, de disparus, de réseaux sociaux verrouillés et de connexions Internet suspendues. De ce point de vue il nous est encore difficile, encore aujourd’hui, de sortir les mots que nous avions consignés dans notre besace.
Aujourd’hui encore la Victoire est revendiquée par les deux camps, les populations se taisent, la suspicion demeure. Les élections législatives ont été plusieurs fois reportées. Alors vu d’ici, notre république est devenue tout d’un coup si belle, plus encore que nous ne l’imaginions, comme les astronautes qui découvrent la terre vue d’en haut, mais tout à la fois si fragile et tellement sensible aux sirènes faciles de l’obscurantisme. Drôle de sentiment que celui de se sentir si impuissant ce dimanche de Mai et de ne pouvoir crier la beauté et l’impérieuse nécessité de défendre notre modèle démocratique et républicain  dans une période si cruciale.

                               On vous embrasse !

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